lundi 23 novembre 2009
mardi 17 novembre 2009
lundi 16 novembre 2009
Yémen: le qat, un mal qui entretient les liens sociaux
Mal qui ronge la société pour les spécialistes, la consommation du qat, une feuille à l'effet euphorisant, rythme le quotidien du Yéménite et entretient ses liens avec son groupe tribal ou professionnel.
"Sans qat, je m'isole de mon entourage", dit un intellectuel de Sanaa, bien calé par des coussins dans un "diwan" (salon), la joue bombée par une boule de feuilles "emmagasinées" dans la bouche. "Je suis conscient des ravages économiques et sociaux du qat mais je ne peux pas m'en passer", avoue-t-il.
Vers midi, cet intellectuel, qui veut rester anonyme, a fait son marché dans le souk du Koweït fréquenté par la classe aisée. "C'est le meilleur moment de la journée", dit-il en se faisant déballer des branchages, cueillis le matin même et emballés dans du plastique, et en marchandant le prix.
Il a ensuite déjeuné, troqué son costume pour l'habit local -- longue robe, ceinture et poignard -- et préparé son qat, ne gardant que les bouts des branchages avec les feuilles tendres et juteuses, avant de rejoindre ses amis.
Dans le "diwan", chacun plonge la main dans son sac en plastique pour en extraire les feuilles. D'un geste sec, il coupe le branchage avant de porter les feuilles à la bouche. Il mâchonne doucement, n'absorbant que le jus au goût amer, en buvant régulièrement de l'eau car le qat donne soif.
L'effet, une douce euphorie, vient doucement. En attendant, on refait le monde, on commente l'actualité ou on traite les affaires.
Plusieurs hôtes arrivent au "diwan". Membres d'un même clan tribal, ils vont discuter pendant des heures de la manière de réagir à un incident mortel. Faut-il venger l'un des leurs, tué lors d'un contrôle banal par un policier nerveux, ou faire confiance à la justice. Les pacifistes l'emporteront.
L'économie du qat est estimée à 800 millions de dollars par an, ce qui n'est pas négligeable dans un pays considéré comme parmi les plus pauvres du monde.
La culture de l'arbuste du qat accapare le tiers des terres cultivées et met une forte pression sur l'eau selon une récente étude d'un universitaire, Fethi Sakkaf qui souligne que "85% des puits servent à irriguer les champs de qat".
Quelque 20 millions d'heures de travail sont perdus quotidiennement, les employés quittant leurs lieux de travail avant l'heure pour chercher leur qat et pour les dépenses des ménages, ce produit, avec le tabac, arrive en premier dans le milieu urbain, selon la même étude.
On peut dépenser de 2 à plus de 100 dollars, selon la qualité du produit, pour la consommation par jour et par individu du qat que ses détracteurs n'ont jamais réussi à interdire et qui devient au contraire populaire chez les femmes et mêmes les enfants.
Son succès chez les agriculteurs est grand car facile à entretenir et donnant plusieurs récoltes. Selon le ministère de l'Agriculture, un hectare de qat donne 12.500 dollars par an et les autres cultures le tiers de ce revenu.
"Il faut cinq ans pour récolter un arbre fruitier qu'on vient de planter et quelques mois pour cueillir le qat", souligne Hani Saleh, un marchand du souk du Koweït.
"En plus, il préserve nos jeunes d'autres vices", renchérit un autre, Mohammed Ahmad Ghanem, qui regrette la guerre contre les rebelles dans le nord du pays qui prive le marché d'une des meilleures variétés, appelée "Chami".
Comme le vin, le qat a ses crus et ses millésimes, selon les marchands. Les meilleurs, appelés "qats de l'élite", viennent de variétés nobles et ne sont pas traités aux herbicides ou pesticides.
Interrogés, de nombreux Yéménites trouvent des vertus au qat. "Il me tient réveillé", dit un chauffeur de taxi de nuit tandis qu'un étudiant affirme ne pas pouvoir réviser sans en consommer.
Mais tout le monde s'accorde sur le fait que ce n'est pas un aphrodisiaque.